Tous prédateurs? C’est la question fondamentale soulevée par ce roman choral, original et dépouillé de tout manichéisme. Entre fauves est un ouvrage marquant. Il réveille la proie et le prédateur en nous. Tous chassés, tous chasseurs. Son auteur Colin Niel a vu un autre de ses romans Seules les bêtes être adapté au cinéma. Entre fauves capte son lecteur par une réflexion intelligente. Les mécanismes de la prédation sont bien détectés. Le message est clair, simple. Traquer et débusquer sa proie est purement humain. C’est une activité humaine millénaire. Aujourd’hui elle n’est plus nécessaire, plus vraiment vitale pour une partie du monde. Mis à part pour les communautés premières l’on peut se passer de la chasse. Elle n’est plus une survie alimentaire. Pourquoi ce plaisir de la traque ? Pourquoi saccager d’autres vies que la notre ?
J’ai déjà entendu dire des chasseurs qu’ils avaient besoin de tuer un animal, de le pister. Pourquoi est-ce encore possible de penser et dire cela à notre époque? Est- ce simplement le discours transparent d’un homme à qui l’on demande de se justifier? Est-ce la part la plus sombre, la part de l’animal sauvage ? Il paraît que les monstres n’existent pas…
Entre fauves prend la forme d’un journal intime tenu par différents personnages. Intelligemment, il rebondit sur sa thématique en se composant de différentes parties décrivant les étapes de la chasse ( repérer sa proie, l’approche, la traque, la mise à mort, le rituel). Deux territoires situés sur deux continents distincts, la Namibie et les Pyrénées, voient l’action se dérouler. L’un représente ce que l’autre n’est plus, un espace où l’être humain cohabite avec les grands fauves. Les Pyrénées sont le symbole de l’échec de la réintroduction d’une espèce disparue: l’ours. Du refus quasi universel de l’homme de vivre en harmonie avec un potentiel prédateur.
Les personnages sont des archétypes, Appoline la jeune chasseuse, fille d’un riche industriel français partie en Namibie traquer le roi des animaux. Martin le garde forestier des Pyrénées , profondément anti-chasse devient à son tour prédateur. Ils sont plus proches qu’ils ne le pensent. Kondjima jeune Himba veut tuer un lion pour se montrer digne de sa fiancée. Charles le lion, la proie la plus courue du roman, devient à son tour chasseur. Tous ont une raison de chasser. Ils sont liés comme dans une tragédie grecque par des actions qu’ils ne contrôlent pas.
Pour défendre une noble cause l’on devient chasseur à son tour. À l’image des anti-chasse du roman, qui par l’intermédiaire des réseaux sociaux traquent en meute un chasseur ayant posté une photo. Comment devenir celui que l’on déteste ? L’effet de meute donne l’illusion d’atténuer la responsabilité individuelle. L’ancien prédateur devient la nouvelle proie. En réalité c’est un jeu de rôle sans fin, avec des robes interchangeables. Sous couvert de belles valeurs l’on devient par des mécanismes inconscients le pire des chasseurs, celui animé par la vengeance. La chasse à l’homme, la chasse à la femme s’expriment aussi à l’ere du numérique. Elle s’apparente à la traque du cerf épuisé. Collectivement, on harcèle avec détermination jusqu’à l’effondrement.
J’ai toujours détesté la chasse. Je n’ai jamais compris le plaisir de tuer, de prendre une vie surtout lorsque ce n’est pas nécessaire. La chasse à cour, épuisé un cerf, l’emmener au delà de l’épuisement reste une des choses les plus inutiles. Nous sommes le parasite de la terre, l’espèce la plus nuisible. Je pense à l’animal, sa peur, son renoncement. Les animaux apprennent à craindre l’homme. Le seul carnivore qui tue pour son plaisir. Le plaisir sadique de tuer. Le plaisir d’être entre hommes, traquer.
La bête immonde nous l’avons refoulée tellement loin, tellement profondément en nous. L’on se voudrait tellement humain, tellement lavé de toute animalité mais notre part prédatrice est juste humaine. Nous sommes une espèce prédatrice. Destructrice des animaux, des humains modernes et des espèces humaines qui nous ont précédés. On canalise tous cet instinct d’une manière plus ou moins visible, plus ou moins tolérable pour la société. Nous sommes bien entre fauves. Le pire des fauves.
L’être humain possède le vice et le versa.
J’aimeAimé par 1 personne