L’ennui. Je crois que je n’avais jamais vraiment expérimenté l’ennui. Enfin pas comme ça. Ces derniers mois ont pris une tournure: l’attente. Le covid est une drôle de guerre. Cette expression on l’a tous entendue lors de nos cours d’Histoire. Les français en Trente Neuf disaient tous ça lors des premières semaines de l’automne. On ne compare pas les tragédies historiques, comme on ne compare pas les souffrances humaines, mais quand même c’est vraiment une drôle d’époque, des drôles de vies. On a jamais été si nombreux sur terre à ne pas vivre. Cette pandémie c’est Kafka et Camus mélangés, Le procès et La peste réinventés.

En ce moment je rêve de boire un verre en terrasse, peu importe la boisson, juste regarder les passants, passer commande, discuter, payer l’addition. C’était tellement banal. Avant, je n’en n’avais parfois même pas vraiment envie. Là, je donnerais un an de vie covidienne contre un coca en terrasse au soleil. Car une vie sans événements, sans petits plaisirs ça ne vaut pas le coup. On a perdu en légèreté, en joie de vivre, en spontanéité surtout.

C’est devenu trop long, trop mou. Le danger d’éviter la contamination ne demande pas de courage. On nous demande de laisser de côté une forme d’égoïsme. Nous ne sommes pas des Anne Frank cachées dans un grenier. Nous ne sommes même pas un peuple occupé. On est juste un peuple dans une époque médiocre. Nous n’avons pas à chercher en nous un courage surhumain. L’on ne se transcende pas. Il n’y a juste rien à faire. On est juste face à nous meme, face à l’absurde.

J’espère qu’on l’aura notre Après Guerre, notre période dorée, nos Trente Glorieuses. Cette joie immense et collective qui veut dire c’est fini c’est du passé. Je nous souhaite l’insouciance, la rébellion, les progrès sociaux. Notre courage c’est d’attendre, on attend que ça passe, à l’intérieur, en huis clos avec soi même. On a eu le temps de faire mille fois le tour de soi.

Les relations sont modifiées. Tout est devenu une histoire de messagerie, de connectivité. on a appris à décrypter les émotions virtuelles à travers la ponctuation, les emojis, les temps de latence entre chaques messages. Une partie de notre visage est masquée, inutile de lire les émotions, de scruter l’autre. On se livre beaucoup moins qu’avant. La notion d’étranger à soi va changer. Notre sphère de considération pour l’autre s’est amoindrie. Les familles se replient sur elles mêmes. La distanciation sociale n’est pas seulement physique, elle est aussi relationnelle et émotionnelle. On perd le lien. On perd le fil conducteur de nos vies. Le covid est un accélérateur,un révélateur. Des couples se sont séparés, pas seulement car l’autre nous est devenu insupportable mais aussi car l’on reconsidere la nécessité de l’autre . Comment une crise sanitaire devient une crise personnelle et identitaire? Depuis combien de temps ne vous êtes vous pas sentis vraiment vivant? Juste momentanément heureux sans arrières pensées angoissées?

Tout ce qui fait qu’on apprécie notre vie est un souvenir, voyager, sortir, les soirées improvisées…

La vie en son absence. Exister sans ce qui fait l’essence de la vie: L’inattendu. Divisés entre angoisses et espoirs. L’on est si vulnerable. C’est comme si l’humanité n’avais jamais été aussi fragile. On est prenable. Ce sera comme à peu près tout, on s’en remettra et on oubliera. On se dira plus jamais ça, puis on fera pire.

19 Comments

  1. je ne peux qu’être d’accord avec ces deux phrases : « Ce sera comme à peu près tout on s’en remettra et on oubliera. On se dira plus jamais ça, puis on fera pire ».
    Elles résument assez lapidairement l’histoire humaine.

    Pour le reste, l’humain est stupidement, obstinément, incurablement optimiste… ce qui ne me rassure pas.

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  2. Bonsoir, c’est un beau texte qui traduit bien ce que je ressens, un ennui, une lassitude, aurais-je encore l’envie quand nous pourrons faire ce que nous voulons? J’ai un doute, nous les « vieux » notre temps est compté, alors je fais avec, c’est à dire sans grand chose à faire que le quotidien, et mon horreur faire la queue quand je vais en courses, derrière les masques les yeux sourient rarement. Mais il faut penser positif, alors ce soir je te dis : on va s’en sortir. Bisous bonne soirée MTH

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  3. Il ne s’appelle pas Co-vide pour rien. Moi ce qui m’inquiète ce n’est pas la situation engendrée par le virus mais la réaction politique inconsidérée et irresponsable qui ne présage rien de bon pour la suite même si le covid disparait ou s’atténue. On a plus le droit de dire ce qu’on pense alors comment rester soi-même dans un monde hyper policé et voulu robotisé. Même une déclaration d’optimisme me semble douteuse. Il faudra beaucoup plus que rouvrir les terrasses pour retrouver la vie, il faudra de la sagesse et du bon sens.

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  4. L’image qui m’est venu quand j’ai eu fini de lire : « et elle « drop the mic » et quitte la scène sous une standing ovation ! ». Ton texte m’a fait pensé à un slam ou un discours très éloquent. Je sais le contenue est triste mais c’est tellement bien dit que ça m’a mis en joie. Merci pour ça !

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    1. Oh merci ça me fait super plaisir, c’est pour ce genre de commentaire que je continues. Je connaissais pas l’expression drop the mic, j’ai cherché et j’en suis d’autant plus touchée. Merci et bonne journée à toi 😊

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