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C’est un livre difficile. La lecture est fluide. L’écriture simple, limpide, parfois lyrique mais sans artifices. C’est la portée des mots, leurs puissances qui fait vaciller le lecteur. Le moindre mot laisse découvrir l’intelligence de son auteur et on entrevoit avec effroi l’envers du rêve américain, le cauchemar de la condition noire en Amérique:  » Les esclaves étaient des gens transformés en carburant pour alimenter la machine américaine. » (P 99)

Paru en 2015 aux États Unis « Between the world and me » est un succés immédiat. Un livre dur mais nécessaire.

Le titre français: « Une  colère noire » bien que transformé, résume tout. Il s’agit d’un essai politisé et militant, redigé sous forme la forme d’une lettre d’un père à son fils. Comme un passage de flambeau générationel.  L’idée de la lutte est omniprésente : le père à lutté pour son fils et le fils devra lutter pour lui même. Il explique les histoires collective et individuelle d’un Afro américain et retrace sa construction en tant qu’homme noir dans une Amérique blanche bien souvent hypocrite et raciste: « ….je me suis demandé comment il était possible de vivre libre dans ce corps noir. C’est une question profonde, parce que l’Amérique se perçoit comme l’œuvre de Dieu, mais le corps noir est la preuve manifeste qu’elle n’est que la création de l’homme. » (P. 30)

C’est un livre complexe. En tant que femme blanche, européenne, j’ai du aller beaucoup plus loin que mon propre schéma de pensée. Il faut s’imaginer avec la culture d’un autre, le vécu d’un autre, l’histoire d’un autre, la civilisation d’un autre et surtout la peau d’un autre.

Je déteste qualifier une personne par ses origines. Rien de pire que de parler de races. À nous européens cela peut nous paraître nauséabond, passéiste mais aux États Unis on parle de races. L’Amérique s’est construite ainsi. Le communautarisme y est un fait.

Ce livre peut parfois heurter. Ce sont les perceptions et la violence objective infligées au peuple noir qui bouleverse. L’auteur dresse un constat accablant de l’histoire américaine et plus particulièrement de l’ « Histoire noire américaine « . Pour lui, l’Amérique a pillé et saccagé le corps noir. L’esclavage du peuple noir a été une aubaine économique. Ce pays s’est construit sur le saccage du corps noir. Son exploitation, sa vente ont bâti la puissance américaine et le début de la dislocation du peuple noir et de son histoire.

La politique ségrégationniste a construit un monde bicolore. Un monde en noir et blanc, où les uns puissants et riches dominent les autres faibles et pauvres.

Les violences faites aux noirs par la police et les prisons américaines unicolores ne sont que l’expression contemporaine de cette volonté de démanteler le corps, la culture et l’esprit noir :« Plus de soixante pour cent des jeunes hommes noirs qui abandonnent le lycée finissent en prison. » (P. 47) L’Amérique blanche a racisé et emprisonné les noirs et l’auteur souhaite en finir avec cette injustice.

Le titre original est toujours plus juste, plus sensé  » between the world and me » (entre le monde et moi). Ces actes racistes ont éloigné l’auteur du monde blanc et si l’on peut dire du Monde car il est façonné par l’homme blanc. On pourrait penser que c’est loin tout ça car nous ne le vivons pas. C’est en réalité tellement proche de l’auteur, tellement vivace et tellement ancré en lui qu’il s’est construit sur cette injustice première. Le peuple noir c’est lui, c’est son identité première.

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C’est plus qu’un récit, une mise en garde, une histoire noire américaine vue à travers les yeux noirs d’un homme révolté. Il propose à son fils la lutte et l’intelligence comme armes absolues. L’oubli, le deuil du passé sont une trahison à soi même: « La race dans laquelle on t’a rangé fait que tu as toujours le vent de face et les chiens sur les talons. A des degrés divers, ceci est vrai de toute vie. La différence est que tu n’as pas le privilège de vivre dans l’ignorance de ce fait fondamental. »

C’est un vécu très lourd. En lisant l’auteur on voit les actes racistes comme jamais on ne les a vu auparavant. Il fait le récit de sa vie. La rue, l’école la découverte d’Howard (première Université noire aux USA) avec en toile de fond la lutte. Toujours. La peur pour son corps traverse chacune de ces époques. Elle est physique palpable et viscérale, le sentiment que son intégrité physique puisse être anéantie par l’autre : « Être noir, dans le Baltimore de ma jeunesse, c’était comme être nu face aux éléments – face aux armes à feu, face aux coups de poing, aux couteaux, au crack, au viol et à la maladie. » (P. 36)

Ta- Nehisi Coates mène un combat pour la reconnaissance, l’équité et les droits fondamentaux humains.

Par le passé l’Amérique est allée au delà du racisme, au delà de la brutalité elle est allée vers la destruction du corps noir pour anéantir son esprit de révolte et en faire un bien commercial au service du capitalisme. Elle a été une usine raciste toute puissante.

25 Comments

  1. Apparemment un roman autobiographique qui rappelle Racine, un autre ouvrage  » Racines » écrit par ‘Alex Haley et d’ailleurs porté au cinéma. C’était bouleversant. Ravi de découvrir votre blog si riche.

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  2. Super cette analyse qui donne envie de découvrir ce bouquin ! Je suis en train de lire le 1er livre de Barack Obama en ce moment « Les rêves de mon père » (je suis assez fan d’Obama ^^) et, sur un autre registre (puisque l’on parle d’un Noir qui s’en est plutôt bien tiré !) il est également très intéressant et donne un excellent point de vue sur la condition des Noirs américains aux USA dans les années 70-80… Un sujet qui m’intéresse beaucoup ! Je le conseille 🙂

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  3. C’est un voyage effectué à travers un livre. Il est difficile de se mettre dans le corps et la vision d’un autre pour comprendre une histoire. Ce livre est conseillé à toute personne qui se veut de connaitre le problème des races sur un autre angle. Interdit aux âmes sensibles car il est aussi revoltant. Alors bonne lecture et merci pour ce voyage partagé.
    Salut depuis le pays de MERKEL 🙂
    P.C. Engama à Bediang

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  4. Le texte a l’air vraiment prenant. Cet été j’étais en Australie et nous avons appris que le gouvernement s’est excusé auprès des aborigènes pour tout ce qu’ils ont vécu à cause de lui. C’est quand même énorme et même si nous ne pourrons jamais revenir en arrière, des excuses, des pardons et des remises en questions devraient clairement être mis en place pour certains être ignobles.

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